On m'avait appelé à l'accueil du pensionnat. Avec cet horrible interphone qui vous déglinguait les oreilles. Je m'étais frotté les oreilles en marmonnant des insultes à l'encontre de cette horreur. Je m'étais dirigée à l'accueil, prête à râler si on m'avait fais venir pour rien. Là-bas, la femme de l'accueil assise à son bureau m'avait regardé avec lassitude.
-Courrier...
J'avais froncé les sourcils. Courrier ? Comment pouvais-je recevoir du courrier alors que les seules personnes que je connaissais en dehors du pensionnat étaient des mafiosos, des clodos ou des drogués dont la plupart ne devait même pas savoir écrire et dont le reste devait vouloir ma peau. J'avais attrapé ce qu'elle me tendait. C'était une simple brochure pour un nouveau parc d'attraction venant d'ouvrir. Elle était accompagnée d'un billet pour une entrée gratuite. Après tout ils étaient arrivés il y a peu, ils devaient vouloir se faire une clientèle. J'étais repartie dans ma chambre et avais balancé les papiers sur mon lit, les ignorant totalement. Puis j'étais allé voir mon Calinoux qui se reposait sur le bord de la fenêtre, ses anneaux enroulés, sa petite tête triangulaire aux yeux fermés posée dessus. Je l'avais caressé doucement, mes doigts parcourant sa peau glissante et écailleuse. J'étais perdue dans mes pensées. Un parc d'attraction... Sur la brochure, tous les gens semblaient heureux et s'amusaient comme des fous. Les différentes installations semblaient toutes plus folles les unes que les autres. Etait-ce si amusant que ça ? Je n'avais jamais mis les pieds dans ce genre d'endroit... J'avais fixé le billet, me mordillant la lèvre. Je pouvais y aller... Après tout qu'est-ce que ça me couterait ? C'était gratuit. Il me suffisait d' "emprunter" la moto garée sur le parking du pensionnat et je pourrais y aller tranquillement... Je m'étais décidé et avais enfilaé mon long manteau de cuir rouge avant de descendre les escaliers à toute vitesse. Arrivée dans le hall, j'avais fais attention à ne pas me faire remarquer et étais sortie sur le parking. Une magnifique moto y tronait, noire, étincellante. J'avais plusieurs fois bavé dessus, vu que je n'avais plus la mienne. Je ne savais pas à qui elle était, mais cette personne ne m'en voudrait surement pas, c'était pour un cas d'urgence. J'avais trafiqué les fils et l'avais démarré. Puis, l'enfourchant, je m'étais mise en route.
Et c'est comme ça que je me retrouvai devant le portail du parc d'attraction, assise sur la moto, le billet et la brochure dans la poche droite de mon jean. J'observai les passants. Pour la plupart, c'étaient des adultes accompagnant leurs enfants, ou des adolescents en mal d'amour qui s'embrassaient langoureusement avant même d'être entré dans l'enceinte. Mais il n'y avait pas beaucoup de démones blondes solitaires qui cherchaient à faire de nouvelles expériences. J'éteignis ma bécane et en descendis avant de me diriger vers les entrées. Arrivée au guichet, je tirai mon billet de ma poche et le présentai au mec de l'accueil. Un mec qui devait se croire le centre du monde avec son petit sourire aguicheur et ses cheveux recouverts de laque. Je fronçai le nez. Il regarda derrière moi, essayant de voir si j'étais accompagnée et constata que j'étais seule.
-Et alors ? Comment ça se fait qu'une magnifique jeune femme telle que vous soit seule pour venir ici ?
Je ne pris même pas la peine de répondre et tendis la main pour qu'il la tamponne. Il la prit et la caressa doucement en me regardant dans les yeux.
-Vous avez de magnifiques mains. Si vous voulez, je finis bientôt mon travail. Je pourrais vous faire visiter le parc...
Il haussa un sourcil, un sourire charmeur accroché aux lèvres. Je soupirai et lui lançai un regard meurtrier. Son sourire vacilla. Je m'approchai de lui et lui chuchotai à l'oreille :
-Lachez ma main tout de suite si vous ne voulez pas perdre une de vos extrêmités...
Je me reculai. Il avait pâlis. On aurait pu prendre mes menaces pour du beurre, mais j'avais fais en sorte d'insufler dans ma voix assez de haine pour lui faire peur. Bien sûr je ne l'aurai pas fais... Enfin... Je ne pensais pas. Il me tamponna la main en tremblant puis me souhaita une agréable journée d'une voix tremblante. Je souris aimablement et parlai à voix assez haute pour que les gens autour m'entendent.
-Vous savez monsieur, le harcèlement sur mineur est un acte puni par la loi...
Je lui jetai un coup d'oeil narquois avant de m'en aller vers les attractions. Il y avait des couleurs partout, des tours vertigineuses, des odeurs étonnantes. Tout ça me donnait le tournis.
-Maman ! Maman ! Achètes-moi une barbe-à-papa ! S'il te plait ! C'est tellement bon !
Je tournai la tête. Une petite fille tirait le tissu du t-shirt de sa mère en sautillant, tout en tendant le bras vers un stand. Là-bas, un vieil homme au ventre rebondi faisait tourner un baton de bois dans une machine ronde et creuse. L'odeur était allêchante. Bientôt, l'homme ressortit le baton. J'écarquillai les yeux. Son... Son chef-d'oeuvre ressemblait à une sucette rose nuageuse géante. Il tendit la "barbe-à-papa" à la petite fille qui le remercia et repartit en sautillant, attrapant des bouts roses et les enfournant dans sa bouche. Je m'approchai, curieuse. Quand mon tour fut venu, je tendis un dollar au monsieur et il me sourit gentiment avant de préparer la barbe-à-papa. J'avais le nez presque au dessus de la machine, observant chacun de ses faits et gestes, voyant le petit nuage rose se former sous mes yeux. Il me le tendit quand se fut fini avec un tendre sourire et un "Bon appétit jeune fille". Je chuchotai un petit merci, fascinée, et m'écartai un peu. J'attrapai un bout et tirai. C'était tout doux ! Je entrouvris les lèvres et mangeai. ça fondait dans la bouche ! On sentait chaque grain de sucre se déliter sous la langue, le goût s'éparpiller dans la bouche. C'était affreusement délicieux ! A tenter le diable en personne ! J'en avalai un deuxième bout, heureuse comme une gamine, un sourire extatique s'étirant sur mon visage...
Quelqu'un me percuta brutalement, me faisant descendre de mon petit nuage. Je faillis faire tomber ma barbe-à-papa et la rattrapai de justesse avant de me retourner et de jeter un regard furieux à l'importun qui me dérangeait.
-Non mais vous pouvez pas faire attention ?! Vous avez failli me faire tomber, et ma barbe-à-papa avec !