Douce vengeance [PV Lucas]

Il y avait deux catégories de professeurs. Ceux qui se révélaient justes envers leurs élèves, ils dosaient les punitions selon l’erreur commise uniquement. Puis il y avait les professeurs  qui ne savaient pas être impartial, se montrant soit trop gentil soit trop excessif dans leurs corrections. Malheureusement pour ses élèves, Gabriel était dans la catégorie des professeurs injustes… et pas le bon injuste, lui n’hésitais pas à allonger les heures de colles ni à rajouter des devoirs supplémentaires. En fait… sa méthode d’attribution était pas très…conventionnel dirions nous. Pour lui c’était une des activités les plus drôles de l’année scolaire. Un sourire radieux sur le visage, il se dirigea donc vers la salle des professeurs d’un pas triomphal. Sur le chemin, certaines personnes le regardaient étrangement, tentant de comprendre pourquoi il avait l’air si heureux. Venait-il de gagner au loto ? Ou bien quelqu’un lui avait-il annoncé une grande nouvelle ?

Quoi qu’il en soit, c’était agréable de le voir si joyeux… Et dans un certain sens c’était également effrayant. Le professeur était un emerdeur, un vrai de vrai. Alors s’il souriait autant, c’était sans doute que quelqu’un allait morfler. « Le bonheur des uns fait le malheur des autres » était un adage on ne peut plus approprier concernant l’américain et ses farces.  Sifflotant tranquillement, il ouvrit la porte qui le mènerait à son espace de travail. Un grand sourire sur les lèvres, il salua joyeusement ses collègues puis alla s’asseoir sur le siège qu’il s’était auto-attribué. Oui, il avait décidé un jour que c’était SA chaise et c’était presque s’il ne la planquait pas à chaque fois pour être sûr que personne n’ose poser son fessier dessus. Mais bon, il se voyait mal se balader une chaise sous le bras à travers le lycée pour trouver une cachette. Alors, il avait abandonné l’idée à grand regret.

Posant lourdement le cahier qu’il avait en main, il fit sursauter quelques collègues sous le claquement sonore qui en avait résulté. Mais cela ne le gêna pas outre mesure… Toutes façons, il n’avait jamais eu aucune gêne à faire du bruit et empêcher tout le monde de se concentrer au passage. Il s’assit sur sa chaise et sortit son stylo préféré, celui qu’il utilisait pour mettre des heures de colles et devoirs supplémentaires. Un air pensif sur le visage, il observa la pile de feuilles qui trônait fièrement devant lui. Son regard verdâtre fit le tour de l’assemblé en quête d’une victime qui ferait sa correction à sa place. Malheureusement –et comme à chaque fois- il ne put en trouver une seule. Son doux sourire ne se fana pas pour autant, tant pis pour la correction des copies, les élèves attendront.

Le professeur joua un instant avec son stylo, observant les listes de noms des diverses classes. Ses prunelles vertes étaient irrémédiablement attirées par les petites croix devant certains noms. Un petit sourire toujours fixé sur ses lèvres, il se rappelait du jeune homme en classe A qui avait eu l’audace de lui poser pleins de questions, semblant vouloir le piéger. Mais vouloir se jouer de Howard fils était une mauvaise idée. Loin de s’offusquer d’un comportement aussi provocant, ses yeux avaient pris une leur intéressée tandis que sa voix autoritaire avait donné sa sentence : « Je vous sens bien passionné par le sujet ! Et nous ne voudrions pas vous couper dans votre quête de savoir… Bien, pour demain matin, je veux un dossier détaillé de minimum vingt pages  de la part de chacun d’entre vous. Je le noterais et ceux qui me sembleront bons seront donnés à votre camarade. Surtout, ne me remerciez pas, monsieur Weiss, c’est un plaisir que de vous rendre service ». Toute la classe avait protesté, pour respecter un délai pareil, ils allaient devoir abandonner tous leurs projets de la soirée et même sacrifier quelques heures de sommeil. Il avait profité du fait que ce soit une classe d’intello pour appliquer cette sentence. Elle aurait eu beaucoup moins d’effet en classe D, là bas, personne ne se préoccupait des notes.

Il savait donc que les camarades du jeune Weiss allaient grandement lui en vouloir. Et rien que d’y penser, il jubilait, il avait trouvé son bouc émissaire dans la classe A. D’ailleurs, cette classe avait tendance à être calme… trop calme même et de ce fait, il n’avait aucune punition à attribuer ce jour-là. Tournant la page, il tomba sur une autre liste de nom et observa les quelques croix qui étaient plus nombreuses même si pas excessives. Appuyant sur le bout de son stylo, il attrapa des bouts de papiers où il nota des chiffres compris entre un et cinq. Il coupa les morceaux de papier, les plia puis les mit dans un bol. Mélangeant le tout, il finit par attraper au hasard une feuille pour y découvrir le numéro. L’heure du jugement était arrivée. Trois. A côté de la première croix, il nota « trois heures de colles ». Alternant parfois avec des devoirs supplémentaires ou de futures interrogations surprises, il continua tranquillement de noircir d’encre les pages, se fichant bien de savoir si c’était juste ou non ce qu’il faisait.

Lucas Moro . Sa main se stoppa au-dessus du bol un instant. Le passionné de sciences se souvenait de ce gamin. C’était celui qui venait en cours pour dormir…Et seulement à SES cours. Parce qu’il en avait parlé de ses collègues et eux n’avaient pas eu la même opinion que lui. Visiblement, cette saleté d’élève avait l’audace de dormir devant ses magnifiques cours. Encore, dans une autre matière, il aurait pu comprendre, après tout, tout ne pouvait pas être aussi patient que son domaine. Mais voilà, le mécréant osait rêvasser alors qu’il parlait de choses si importantes. Sourcils froncés, il commença à tapoter son stylo sur la table tandis que son autre main était toujours suspendue au-dessus du bocal. De longues secondes s’écoulèrent ainsi, sans que rien ne transparaitre sur son visage, tandis que les rouages de son cerveau se mettaient en place. Il se leva soudainement, un air indéchiffrable toujours sur le visage et se dirigea vers la porte. Son regard se posa sur un groupe d’élève et il les héla :


Une jeune demoiselle hocha la tête et se dévoua pour aller chercher le fameux Lucas tandis que le métamorphe faisait demi-tour et allait s’asseoir à nouveau sur sa chaise. Si ça se trouvait, l’autre ne savait même pas qui il était vu le manque d’attention dont il faisait preuve durant ses cours. Les lèvres pincées, le brun affichait une mine concentrée tandis qu’il réfléchissait au nombre d’heures de colles et de devoir qu’il comptait administrer au plus jeune. Il mérite au moins six heures de colles… Plus un petit bonus de deux heures s’il est insolent… Et je lui donnerais des devoirs en plus s’il est en retard… Attendant patiemment que l’étudiant daigne venir se présenter à lui, il continua tranquillement à attribuer les punitions des divers élèves. Pour Lucas, il attendrait de l’avoir face à lui pour juger de ce qui était le plus adéquate à sa vengeance.

Le stylo glissait allégrement sur la feuille, sans un bruit, telle la caresse d’un amant attentionné. Pas de couinements sinistres ni de bruits désagréables à l’oreille à force de trop appuyer sur la mine.  Non, Gabriel écrivait délicatement sur le papier face à lui de son écriture ronde. Certains trouvaient que son écriture faisait trop « fille » et ça avait le don de l’agacer. C’était quoi cette discrimination d’écriture ? Un léger grognement s’échappa de ses lèvres tandis que cette pensée traversa son esprit. Pendant un instant, il fut tenté de modifier quelques peu ses lettres pour les rendre plus carrés mais… mais il n’allait pas s’abaisser à ça non plus ! Il écrivait très bien et si les autres n’étaient pas contents, c’était tant pis pour eux.  Les sourcils froncés, il regarda sa feuille quelques minutes. Il avait envie de finir pour voir la tête de ses chères victimes.

Une voix inconnue se fit entendre dans la salle et il aurait très bien pu ne pas la remarquer si son nom n’avait pas été cité dans la phrase. Non parce que comme le plus jeune ne daignait pas participer à son cours, il n’avait pas eu l’honneur d’entendre sa voix. Rapidement, il mit les papiers à la poubelle et reposa son bocal sur la table… De une parce qu’il avait fini et de deux parce que sa méthode d’attribution de punitions n’était pas du tout conventionnelle. Et il était sûr que dire au directeur « Vous savez, la vie est parsemée de hasard, je ne fais qu’appliquer ce principe-là ! » n’allait pas vraiment convaincre ce dernier. Tsss, les gens ne comprenaient rien à la vie.  S’assurant que son cher élève n’avait rien vu à son petit manège, il fixa son regard sur celui-ci.

Ses yeux verdâtres analysèrent l’étudiant, semblant sonder son âme. Le professeur se fichait bien de savoir si ça le rendrait mal à l’aise ou pas. On avait beau lui dire que son regard perçant avait tendance à être dérangeant pour la personne en face, il ne changeait pas.  Rien ne semblait pouvoir le convaincre de changer de toute façon…. Encore moins un gamin qui ne daignait même pas écouter ses cours. Pas une seule seconde son regard se détourna, tel un prédateur à l’affut de sa proie, il l’observa silencieusement attendant que ce dernier s’approche un peu plus. Lorsque celui-ci lui posa une question, il sourit doucement. Mais bon, il restait lui-même et son sourire ressemblait plus à celui du chat de Cheshire que celui d’une jeune fille pure et innocente. Hochant doucement la tête, il tendit son bras vers des chaises non loin afin de les désigner.


Tranquillement, il attendit que ce dernier aille chercher sa chaise pour s’asseoir face à lui. Du temps, il en avait largement et si ça pouvait énerver son interlocuteur, cela ne le gênait absolument pas de patienter. Par contre, Lucas avait sans doute d’autres projets bien plus intéressant qu’un tête à tête avec son cher prof’ de sciences. Le brun en déduisit donc que l’autre n’allait sans doute pas tarder à obéir et se positionner face à lui pour en finir le plus tôt. Lorsqu’il obtint enfin ce qu’il voulait, il resta quelques minutes silencieux en observant le jeune homme puis son carnet. Un petit soupir s’échappa de ses lèvres alors qu’il paraissait réfléchir encore quelques instants. Comme s’il n’avait pas déjà eu tout le temps pour ça…En fait, c’était juste pour embêter un peu le rustre qui lui servait d’élève.


Il lança un regard appuyé à son interlocuteur pour bien lui faire comprendre qu’il n’avait pas vraiment apprécié. Malgré le sourire qui ourlait toujours ses lèvres, ses yeux semblaient lancés des éclairs. L’américain resta ainsi quelques instants pour observer les réactions de son bouc émissaire dès lors. Sa voix était tout à fait calme et encore légèrement douce :


Un grand sourire sournois sur les lèvres, il se délectait déjà du visage qu’afficherait son élève. C’était sûr qu’il allait tout faire pour ne pas se retrouver seuls tous les deux dans une même pièce afin de réviser les cours de science. Parce que si en classe il ne pouvait pas faire en sorte de le maintenir éveillé en continu, s’il l’avait face à lui, il le pourrait… Et pas de façon agréable pour ce dernier. Posant sa main contre la paume de sa main, Gabriel attendit patiemment les explications et réactions de son interlocuteur.

Suite aux paroles du jeune étudiant, un long silence gênant s’installa dans la pièce. A croire que tous les occupants s’étaient arrêtés de vivre, comme si le moindre bruit pouvait déclencher le début des hostilités. Plissant légèrement les yeux, le menton posé sur ses mains croisées, Gabriel observa son interlocuteur pendant quelques secondes qui parurent une éternité. Son regard émeraude semblait scruter ce dernier comme s’il pouvait lire dans son âme. L’atmosphère était de plus en plus lourde, un peu comme lorsqu’une tempête se prépare. Puis, soudainement, sans que rien ne le laisse présager,  le coin de ses lèvres se recourba vers le haut de façon quasi imperceptible. Dans le même mouvement, il baissa la tête et posa ses mains sur son front, les yeux fermés. Quelques secondes après, des soubresauts secouèrent ses épaules tandis qu’il contentait tant bien que mal son rire. N’y tenant pas plus, il finit par éclater de rire.

Ses yeux reflétaient tout son amusement et se posèrent sur le visage de son vis-à-vis, redoublant son rire. Ce n’était pas un rire mesquin ni moqueur, bien au contraire. Et c’est ce qui paru étonné ses collègues. Car monsieur Howard riait face à ses élèves mais cela ressemblait plus à un son de mépris qu’autre chose. C’était sans doute la première fois qu’ils le voyaient rire ainsi, comme s’il s’amusait réellement et qu’il était heureux. Son rire s’élevait dans la pièce et ne semblait pas pouvoir se tarir, donnant l’impression que ce son était naturel de sa part. Au bout d’un certain moment pourtant, son fou rire sembla se calmer et il se renfonça dans son siège, essuyant au passage les larmes de joie qui perlaient au coin de ses yeux. Il lui fallu quelques secondes de plus pour reprendre contenance. Un immense sourire resta gravé sur ses lèvres tandis que son regard pétillant de bonheur continuaient de fixer son élève.


Le regard que lança le brun à son élève dissuadait ce dernier toute tentative de rébellion. Après tout, il avait tendance à être bipolaire et imprévisible… alors il était assez difficile de savoir comment il allait réagir face à l’insolence de ce dernier. Sans vraiment attendre une quelconque réponse de l’espagnol –après tout, il restait un être totalement indifférent aux autres- le professeur continua dans sa lancé avec un ton clairement amusé :


Après tout, s’il disait à un de ses collègues qu’il avait gardé un pauvre étudiant avec lui tout l’après-midi pour lui parler de ses résultats médiocre, ce dernier n’osait rien dire… C’était bien pire de subir les remontrances du professeur de sciences plutôt que d’assister à un cours aussi ennuyeux soit-il.


Lui dit-il alors qu’en tant que métamorphe il pouvait aisément changer d’apparence. Mais ça, il préférait le garder pour lui, pour pouvoir en jouer plus tard.


En vérité il se fichait bien des noms, il voulait juste mieux cerner le châtain. La classe entière pouvait penser qu’il était un tyran qu’il vivrait pareil. Par contre, Lucas l’intriguait énormément et il voulait savoir s’il était assez naïf pour donner des noms… Ou bien s’il dénoncerait sans vergogne quelques uns de ses camarades.  Ou peut-être qu’il allait encore lui tenir tête, ça serait sans doute la solution la plus plaisante. Une lueur d’amusement brilla de nouveau dans les yeux verdâtres du plus âgés qui se régalait d’avance de la réaction du plus jeune.


Dit-il sur un ton badin, un grand sourire joueur sur les lèvres. C’était presque un pari qu’il faisait avec son élève et cela l’amusait grandement. En quelques minutes Lucas était passé «d’élève à problèmes comme les autres » à «martyr de Gabriel Howard ». Et le jeune professeur mettrait tout en œuvre pour être le seul bourreau du plus jeune.


Gabriel se fichait bien de voir son élève assis sur son bureau, mais c’était juste pour le titiller encore un peu.